mercredi 30 avril 2014

« Leur mettre la pâtée... »


équipe locale -  1913 (?)
Cette expression se dit avant le match, pour rallier les joueurs et gagner en cohésion d'équipe. Ou bien pour se donner du courage avant d'affronter les difficultés. Ou encore pour impressionner les autres et affirmer sa force. Et sans doute aussi pour amorcer la légende qui sera racontée après la victoire, en n'oubliant surtout pas le "j'en étais"... Que devient cette façon de faire, quand un joueur se retrouve brusquement pris dans des bouleversements le touchant au plus profond de lui-même ? Comment peut-il associer l'expérience et sa narration ? 


Des joueurs comme ceux-ci ont revêtu un uniforme, ce qui les a plongé dans l'expérience traumatisante personnelle et collective qu'a été la première guerre mondiale. Au début, tellement d'entre eux s'imaginaient revenir très vite, après avoir « mis la pâtée... » ! Et en revenant, ils ont occulté une partie de leur vécu réel, celle que ceux qui avaient vévu la même chose pouvaient seuls comprendre : « départ des tranchées avant le jour. Première progression assez facile. Sérieux accrochages à la tranchée d'E.... où les mitrailleuses ne sont pas réduites. Lutte violente. On la dépasse ainsi que la tranchée d'O... Un à un les nids de mitrailleuses sont réduits à la grenade... La lutte à la grenade est dure car les boyaux bouleversés rendent la progression difficile et l'artillerie de gros calibre est nécessaire... Puis cette traversée quoique meurtrière est effectuée. On aborde alors la montée et on arrive à deux lignes de tranchées. On les enlève et les sommets sont atteints. ».Et le reste ?  En ne conservant que les pans héroïques de l'expérience, réduit-on pour autant les dégâts réels ? 

Les protagonistes présentés dans 14, des armes et des mots comme des inconnus, ont témoigné quelque peu de leur expérience de souffrance, de solitude, de sentiment de gâchis absurde. D'autres récits en ont évoqué certaines conséquences (comme retracé dans Capitaine Conan). Sans doute, aussi, certains pans ne se sont même jamais vraiment exprimés à travers des mots et le stress post-traumatique a dû  souvent être une réalité, ensuite, même si le mot n'existait pas encore.


Certains protagonistes de cette période ont néanmoins trouvé des ressources pour recréer de l'humanisme vivant. Je pense, par exemple à MariaMontessori ou à Célestin Freinet ou d'autres encore dont il sera question une autre fois. Ils et elles ont inventé, à leur manière, des façons d'aider les nouvelles générations  à intégrer à a fois leurs potentialités et leurs vulnérabilités pour reconnecter la vie qui va. C'est ainsi que Célestin Freinet, reconnu invalide, a conçu une pédagogie partant de l'expérience, insistant sur le rôle du travail (pour la très grande majorité des enfants, cette expérience-là était quotidienne), sur celui de la coopération dans les apprentissages et sur l'insertion de l'école dans la vie locale. Et le « tâtonnement expérimental », qu'il a théorisé reste une manière de n'oublier ni les sensations fournies par l'expérience ni les connaissances et l'imaginaire disponibles pouvant s'y rattacher. Et maintenant, dans le contexte actuel et à partir de notre expérience d'aujourd'hui, comment pouvons-nous veiller à ne pas perdre de vue l'importance de ces enjeux de toujours  ?